• Un homme, une époque
  • Un Républicain engagé
  • Guérir est bien prévenir est mieux
  • Protéger la mère et le nourrisson
  • Eduquer et former l'enfant
  • Travail, sport et santé
  • Encadrer le travailleur
  • Assister les plus faibles
  • Exposition 1906
  • La guerre 14-18
  • Un homme, une époque

    La famille Dron

    Gustave Dron lisant un discours lors des funérailles officielles des pompiers victimes de l'incendie des usines Nuttin, 14 mars 1926.
    Archives municipales de Tourcoing, série Fi supplément.

    Le 21 octobre 1856, naît à Marcoing, Jean-Baptiste Gustave Dron deuxième enfant d’une fratrie de quatre. Il a une sœur aînée Marie-Laurence (1854) et bientôt deux cadettes Bellonne Estelle (1858) et Zélie (1861). La famille paternelle de Gustave Dron est originaire du Cambrésis. Le plus ancien ancêtre connu (XVIIème siècle) est natif de Quiévy. Sa famille quitte ensuite ce village pour Béthencourt. Les professions exercées par ses ancêtres sont essentiellement celles de meunier ou de cultivateur.

    Son père, François Joseph, est né en 1824 à Béthencourt. Il s’installe à Marcoing où il exerce diverses professions : clerc de notaire d’abord, puis greffier au juge de paix et enfin marchand de bois. Sa mère Bellonne Lamouret est sans profession. C’est une famille aisée et jouissant d’une certaine notabilité.

    Depuis 1860, François Dron est conseiller municipal de Marcoing et, en 1869, il succède à Alexandre Mallet maire démissionnaire de la commune. François Dron n’est pas républicain. Dans un rapport adressé à la préfecture le 25 janvier 1869 on peut lire : « […] Monsieur François Joseph Dron est un homme jeune, capable et intelligent. Il jouit d’une grande influence dans la localité et est tout dévoué au gouvernement de l’Empereur[…] ». En 1884, François Dron est désigné juré du canton de Marcoing à propos des expropriations d’utilité publique en application de la loi du 3 mai 1841. En 1892, il n’est pas réélu maire mais reste au Conseil municipal. Il meurt le 11 octobre 1899.

    Gustave Dron grandit donc dans une famille déjà investi dans la vie politique. C’est son beau-frère Achille Boulanger, époux de sa sœur Marie, qui est élu maire de Marcoing en 1904. Sa sœur, Bellonne, épouse le fils de l’adjoint au maire, Juvénal Bidaux. Quant à sa dernière sœur Zélie, elle reste célibataire.

    Rien ne nous permet de présumer des convictions religieuses de sa famille. Dans sa fiche de conscription, en 1877, Gustave Dron est inscrit comme catholique. Son premier prénom est Jean-Baptiste (prophète annonçant la venue du Messie). À son arrivée à Tourcoing, il préfère utiliser son dernier prénom et se faire appeler Gustave, prénom d’origine nordique.

    Les études

    Portrait de Gustave Dron, vers 1900.
    Archives municipales de Tourcoing, série Fi supplément.

    Gustave Dron fait ses études secondaires au collège de Cambrai et obtient son baccalauréat en 1874. La même année, en octobre, il s’installe à Lille pour étudier à l’école de médecine. Pour obtenir un doctorat en médecine, il faut faire trois ans d’études dans une école puis présenter une thèse devant une faculté après y avoir effectué une quatrième année. Ce cursus est très onéreux. À Lille, plus de la moitié des élèves inscrits ne visent que le diplôme d’officier de santé qui coûte beaucoup moins cher.

    Gustave Dron y est étudiant d’octobre 1874 à juillet 1876 dont un an d’externat à l’hôpital Saint-Sauveur. Cette formation pratique hospitalière est uniquement accessible sur concours, il en va de même pour l’internat réservé aux anciens externes. Les étudiants sont de plus en plus nombreux à passer ces concours, synonymes d’élite et de qualité de la formation. En effet sans cela il est possible de faire toutes ses études sans même avoir vu un seul patient. Les externes et internes de l’hôpital Saint-Sauveur de Lille dépendent de l’administration des hospices. Cet établissement est très ancien, il date probablement du XIIème siècle. C’est le principal établissement hospitalier de la ville. Il est placé dans un quartier très populaire et très pauvre. En 1876, il est vétuste et on y rencontre toute les pathologies liées à la misère.

    Cette même année, l’école de médecine devient faculté par décret gouvernemental. En parallèle, certains notables travaillent à la création d’une faculté catholique de médecine qui ouvre ses portes en novembre. Alors que Gustave Dron est externe à l’hôpital Saint-Sauveur, une querelle fait rage pour la dévolution aux deux facultés des hôpitaux dépendants des Hospices de Lille. Après de multiples rebondissements, le Conseil d’État laisse Saint-Sauveur à la faculté laïque.

    Gustave Dron contracte finalement un engagement conditionnel dans l’armée, qui l’amène le 30 novembre 1876 à la 24ème section d’infirmiers à Lille, puis au Val-de-Grâce à Paris (juillet à septembre 1877), enfin à l’hôpital militaire de Versailles (octobre à décembre 1877). L’engagement conditionnel est un engagement volontaire d'un an accessible aux titulaires de diplômes universitaires. Ce système  permet de se libérer en une année des charges du service dans l'armée active (ce dernier pouvait durer de 1 à 5 ans suivant le tirage au sort).

    Afin de clore son cursus, il effectue sa quatrième année, celle de la thèse, à la faculté de Paris et son internat à l’hôpital de la Pitié à Paris. Il choisit d’étudier l’iritis qui est une inflammation de l’iris. Ayant obtenu son diplôme de médecin, en avril 1880, il rentre dans sa famille à Marcoing. Puis, en août, le docteur Dron s’installe à Tourcoing.

    Maria LELOIR et sa famille

    Faire part mortuaire de Maria Descamps-Leloir, belle-mère de Gustave Dron
    Archives municipales de Tourcoing, I 1 b 513

    Le 20 janvier 1883, Gustave Dron épouse Maria Françoise Leloir. Elle est née à Tourcoing le 26 juin 1859 de Jules Leloir et de Marie-Célestine Descamps. Son père, décédé le 12 juin 1882, est l’ un des quatre fils de Chrysostome Leloir. La famille Leloir est très présente dans la vie politique tourquennoise du XIXème siècle. Chrysostome, le patriarche est le fondateur de la filature qu’il dirige avec ses enfants. Conseiller municipal, adjoint au maire, il fait fonction de maire en 1847 et en 1848. Membre influent de la commission des Hospices, il est un temps président du Conseil des Prud’hommes et suppléant du juge de paix. Républicain convaincu, il est arrêté, le 8 décembre 1851, à la suite du coup d’État instaurant le Second Empire. Il est menotté et conduit à la citadelle de Lille pour une courte détention.

    Ses quatre fils Fidèle, Jules, Louis et Henri reprennent l’entreprise sous le nom de "Leloir frères". Ils sont également très engagés politiquement au sein de la commune. Louis Leloir
    entre au conseil municipal en janvier 1878 où il figure sur la liste d’opposition à Roussel-Defontaine. Il est administrateur des Hospices et créateur du "sou des écoles laïques" organisation caritative collectant des fonds afin d’aider les écoliers nécessiteux. Chef de file des républicains tourquennois, il est élu en 1852, à la Chambre consultative des arts et manufactures. Il démissionne immédiatement afin de ne pas avoir à prêter serment à l’Empereur Napoléon III.

    Jules Leloir est élu porte-drapeau de la Garde nationale de Tourcoing le 8 septembre 1870. Il est également membre de l’administration des Hospices. Après son décès en 1882, il y est remplacé, par son frère Émile.

    La sœur de Chrysostome, Cécile, épouse Pierre-Antoine Lehoucq, aubergiste et maire de la ville en 1796. On dit qu’elle personnifia la République lors d’une fête révolutionnaire. Leur fils, Fidèle, fonde la firme "Lehoucq Frères". Conseiller prud’hommal en 1873, il devient en 1881, membre en compagnie de Gustave Dron de la commission des logements insalubres en compagnie de Gustave Dron. La même année, il est élu conseiller municipal et adjoint. En 1882, il est désigné expert pour la réception des marchandises au Bureau de bienfaisance. Élu conseiller général en 1883, Fidèle Lehoucq se démet de son mandat pour raison de santé, en 1887, en faveur de Gustave Dron.

    En 1883, Maria Leloir épouse Gustave Dron, le jeune couple s’installe dans la propriété de la famille Leloir, place de la Victoire avant d’ achèter une maison au 18 de la rue des Piats. La mère de Maria Dron, Marie-Célestine Leloir-Deschamps, emménage avec eux. Elle ne les quittera jamais et continuera à cohabiter avec son gendre après le décès de sa fille. On dit de Maria Dron qu’elle parle plusieurs langues et qu’elle est une excellente musicienne. C’est une admiratrice des travaux et des idées de Jean Macé. Elle est simple, désintéressée et attentive. De l’avis de tous, le couple s’entend bien. Il semble qu’elle soit la seule à pouvoir calmer les colères de son époux. Avec sa mère, elle crée l’association des Dames Charitables, qu’elles dirigent toutes les deux. Cependant Gustave et Maria Dron n’auront pas d’enfant.

    En 1912, malade du foie, Maria Dron doit subir une opération délicate dans la clinique "Maison de santé du Nord" rue Gambetta à Lille. Quelques jours après, le 8 juin 1912, elle meurt de complication post opératoire à l’âge de 53 ans. D’après ses proches et la presse, Gustave Dron est accablé de douleur. Alors que son épouse est inhumée civilement divers journaux catholiques choisissent de ne pas relater les funérailles les qualifiant d’apostasie notoire et de démonstration d’impiété.
    Blessé, Gustave Dron ressent le besoin de s’éloigner de la mairie quelque temps : « […] Le besoin de recueillement après le choc cruel qui vient de m’atteindre, choc dont les effets se répercuteront sur le reste de ma vie, quelque effort de volonté  que je fasse pour les atténuer me tiendra éloigné de l’hôtel de ville […] mon absence n’a pas besoin d’excuse […] la population […] a témoigné combien elle appréciait le rôle noble et bienfaisant de la compagne de ma vie, de l’associée de mes travaux […] ».

    Les funérailles de Gustave Dron

    Funérailles de Gustave Dron, cortège funèbre, les drapeaux des associations de Gymnastique, 21 août 1930.
    Archives municipales de Tourcoing, I 1 b 513

    Le 17 août 1930, Gustave Dron meurt soudainement d’un infarctus à l’âge de 74 ans Il fait une première attaque dans le métro parisien quelques semaines auparavant. Après une courte période de repos, il reprend ses activités sans se ménager. La veille, il fait une excursion sur le littoral belge et s’entretient avec le commissaire Lenfant à propos des grèves qui agitent la ville. Le dimanche 17 au matin, sa gouvernante le trouve inanimé dans la salle de bains ou dans la chambre ; les versions divergent. Malgré les tentatives de réanimation des médecins, on ne peux que constater le décès.

    L’émotion ressentie par les habitants est considérable. La presse reconnaît en lui un infatigable travailleur et souligne les progrès enregistrés par Tourcoing en 50 ans de vie politique et 30 ans de magistrature de Gustave Dron. Son corps est exposé à la mairie afin que les Tourquennois puissent venir lui rendre un dernier hommage. Deborgher, adjoint au maire, demande à Clamagirand, professeur à l’école des Beaux-Arts de Tourcoing, de faire un moulage du visage et des mains du défunt. Les moulages sont confiés un temps à Lucien Brasseur, sculpteur du monument de la Victoire, qui les emmène à Paris. Réclamés par la municipalité, ils sont restitués en septembre 1930. C’est cet artiste qui est l’auteur du buste de Gustave Dron.

    Les funérailles sont organisées en grandes pompes, le 21 août 1930. Dans son testament il avait écrit : « Mes funérailles seront civiques comme l’ont été celles de mes chères disparues, ma femme et sa mère, afin d’affirmer le droit qu’a tout être humain de conduire sa vie et de la finir suivant ses convictions sincères et réfléchies, sans qu’ils puissent en résulter pour sa famille aucun dommage provoqué par l’intolérance confessionnelle. Tel j’étais à mon arrivée à Tourcoing où le seul désir d’exercer la médecine m’attirait, tel j’entends rester jusqu’au bout […] ». Le cortège funèbre traverse toute la ville sous une pluie battante. C’est Roger Langeron, préfet du Nord qui commence les discours à l’entrée du cimetière, puis Désiré Parsy représentant la Ville, Auguste Potié, le Sénat, et Auguste Mahieu, le Conseil général. Puis, les représentants des associations d’assistance prennent la parole à leur tour.

    Par son testament, il lègue la majeure partie de ses biens aux œuvres sociales de la ville. Il souhaite vivement qu’elles se regroupent en fédération. Il donne sa maison du 18 rue des Piats aux Dames charitables pour en faire un foyer civique. Il demande également que soit publié le fruit de sa recherche sur les traitements des maladies respiratoires en inhalarium. C’est Eugène Robaeys, receveur des Hospices, qui est désigné par Gustave Dron comme exécuteur testamentaire.

    Le monument

    Monument Gustave Dron, photo issue de la brochure distribuée lors de l'inauguration le 17 mars 1935.
    Archives municipales de Tourcoing 2 AS 1

    Un an après le décès de Gustave Dron, un comité pour l’érection d’un monument à la mémoire du maire défunt se constitue. La première réunion a lieu le 16 août 1931 dans son ancien domicile. C’est Auguste Potié, sénateur-maire d’Haubourdin et ami personnel de Gustave Dron, qui en assure la présidence ; Edmond Labbé et Léonce-Adélaïde Robbe le secondent. Pour les membres de cette assemblée, un monument est plus impérissable que le souvenir qui disparaît souvent en même temps que les contemporains.

    Des financements sont demandés à la municipalité, aux acteurs sociaux de la ville mais aussi à Paris. Paul Doumer, Président de la République, accepte avec le président du Sénat et celui de la Chambre des députés de patronner cette opération. Un appel à souscription est lancé par le biais d’un document imprimé.

    Une fois l’argent rassemblé, un concours est organisé afin de choisir le sculpteur. Les artistes désirant concourir sont invités à déposer leur projet à l’école des Beaux-Arts, rue de Gand. Les réalisations (maquettes, plans, devis) sont exposées dans le gymnaste attenant. Réuni le 23 juin 1932, le jury se compose du comité mais aussi du maire de Tourcoing Albert Inghels, de l’architecte Henri Maillard et de Charles Bourgeois, directeur de l’école des Beaux-Arts. Le vote est secret, les maquettes portent un titre mais pas le nom de leur auteur. Dix-sept artistes ont répondu à l’appel, mais le projet d’Albert Marius Patrisse, sculpteur valenciennois, est éliminé car rendu public.

    Après une première sélection quatre projets restent en lice :

  • La reconnaissance d’Alexandre Descatoire, 1874 – 1949. Sculpteur douaisien, il obtient le Grand Prix de Rome en 1902. Une grande partie de son œuvre est consacrée aux monuments de la Grande Guerre.

  • Gallia d’Henri Augustin Soubricas, 1886 – 1942. Sculpteur lillois, il est l’auteur du buste d’Auguste Potié visible au Conseil général ainsi que du monument au soldat inconnu de Lambersart.
  • Hommage à un grand citoyen d’Edgar Boutry, 1857-1938. Sculpteur lillois, il est l’auteur de la statue de Léon Trulin et du monument aux morts de la place Rihour à Lille.
  • Il enseignait l’altruisme de Félix-Alexandre Desruelles, 1865 –1940. Sculpteur valenciennois, il réalise nombre de monuments aux morts après 1918, dont celui d’Auchel qui est un des rares monuments pacifistes de France. Le buste de Gustave Dron, dont la maquette est arrivée jusqu’à nous devait être placée au sommet d’une pyramide. À ses pieds,  3 statues de femmes et d’enfants représentant la Charité, la Reconnaissance et la Science.
  • Après cinq tours de scrutin, seuls deux projets restent en lice. Celui d’ Henri Augustin Soubricas et celui d’Alexandre Descatoires. C’est ce dernier qui est sélectionné. Le lundi 24 septembre 1934, le sénateur Auguste Potié pose la première pierre du monument dédié à la mémoire de Gustave Dron en présence du Comité, du Conseil municipal et des délégués des œuvres dont s’occupait le maire défunt. L’inauguration a lieu le dimanche 17 mars 1935, en présence d’Édouard Herriot, ministre d’État. Celui-ci, arrivé par le train, remonte l’avenue Gustave Dron en musique jusqu’au mémorial. Après les discours, le monument est découvert au son de la Marseillaise. La cérémonie est suivie d’un banquet et d’un concert.

    La chute du Second Empire et l'avènement de la IIIème république

    La guerre de 1870 est expéditive. Dès le début des hostilités, les Français n’enregistrent que des échecs. À l’issue de la défaite de Sedan (1er septembre), l’empereur Napoléon III capitule et est fait prisonnier. Dans la nuit du 3 au 4 septembre, dès l'annonce de la défaite, les députés du Corps législatif se réunissent au Palais Bourbon. Ils refusent de laisser la régence à l'impératrice Eugénie. Parmi eux, Jules Favre, Jules Grévy, Jules Simon, Jules Ferry et, surtout, Léon Gambetta. Les Parisiens envahissent bientôt le Palais Bourbon et exigent l'instauration de la République. Les députés craignent d'être débordés par l'insurrection. Jules Favre propose d’aller proclamer la République à l'Hôtel de ville de Paris et Jules Ferry de constituer un gouvernement composé des députés républicains de Paris. C'est ainsi que Léon Gambetta et Jules Favre proclament la République, le 4 septembre 1870.

    La nouvelle est accueillie à Tourcoing avec beaucoup d’émotions et quelques échauffourées ont lieu. Le 91ème bataillon de ligne venu de Lille remet rapidement de l’ordre. Le pays est toujours en guerre et le gouvernement de la Défense nationale est placé sous la présidence du gouverneur militaire de la place de Paris, le général Louis Trochu, qui se révèle impuissant à contenir l’avance allemande. La guerre n’est pas finie et les combats se poursuivent. Nombre de Tourquennois acceptent d’accueillir à leur domicile des soldats blessés dont un premier convoi arrive en gare le 12 septembre.

    La situation s'aggrave, le 19 septembre avec l'encerclement de Paris par les troupes ennemies. Le 7 octobre, Gambetta, ministre de l'Intérieur, quitte la capitale assiégée à bord d'un ballon dirigeable. Arrivé à Tours, il rejoint la délégation représentant le gouvernement de Paris et, partisan de la guerre à outrance, organise les armées de secours qui sont battues par les Prussiens. Adolphe Thiers, député conservateur doté d'un très grand prestige, entreprend une tournée des capitales européennes en vue d'obtenir une intervention militaire en faveur de la France. Il se heurte partout à un refus.

    L'armistice est finalement signé par Jules Favre, le 28 janvier 1871, pour une durée de quatre semaines. Bismarck veut ainsi donner le temps aux Français d'élire une assemblée. Il a besoin en effet que le traité de paix définitif soit ratifié par une autorité légitime. La Chambre nouvellement élue compte 240 républicains contre 400 monarchistes, divisés entre légitimistes et orléanistes. Le 17 février, elle désigne Adolphe Thiers comme chef du gouvernement exécutif de la République française, en attendant de statuer définitivement sur la nature du futur régime. La voie semble donc ouverte à une restauration de la royauté.

    L'installation d'un régime

    Les divisions du groupe monarchiste et les atermoiements du comte de Chambord, prétendant légitime au trône, ont pour effet de favoriser l’instauration d’un régime républicain. Le président de la République, Adolphe Thiers, monarchiste, finit par apparaître comme dangereux pour son propre camp. Il est alors renversé le 24 mai 1873. Le jour même, le maréchal de Mac-Mahon, monarchiste également,  est élu président de la République. Pour lui, il s'agit de défendre l'ordre moral, c'est-à-dire la prééminence des classes dirigeantes traditionnelles (aristocratie et haute bourgeoisie) et la place centrale de l'église catholique dans la société. Il pense qu’un retour à la monarchie est nécessaire. Sollicité à plusieurs reprises, le comte de Chambord, refuse de monter sur le trône. Sans le descendant direct des Bourbon, la Restauration est donc impossible.

    Le 20 novembre 1873, les monarchistes votent une modification constitutionnelle : le septennat. Ils espèrent, grâce à ce délai, attendre la mort du prétendant et offrir la couronne à son cousin, le comte de Paris. En janvier 1875, grâce à l'amendement Wallon, instaurant l'élection du Président à la majorité absolue des suffrages par le Sénat et par la Chambre des députés réunis en Assemblée nationale, la nature républicaine du régime est ainsi officialisée. Enfin, les lois constitutionnelles, votées entre février et juillet, instaurent définitivement le régime républicain.

    Aux législatives de 1881, les républicains sont enfin majoritaires et se donnent pour but d'enraciner la République. Mac-Mahon démissionne. La même année, Jules Grévy devient le premier président républicain de la IIIème République. Il faut maintenant consolider le régime. Certaines libertés sont rétablies : liberté de réunion, liberté de la presse, liberté d’association (loi Waldeck-Rousseau 1884).

    À Tourcoing, en octobre 1879, le maire conservateur, Charles Roussel-Defontaine, meurt.
    Le 9 janvier 1881, deux listes s’opposent aux élections municipales : l’une portant le nom de Liste républicaine, l’autre conservatrice ou Comité des libertés publiques. C’est cette dernière qui emporte les élections. Cependant elles sont invalidées et on procède à un nouveau scrutin le 10 avril 1881.

    C’est la Liste républicaine qui pour la première fois à Tourcoing remporte la majorité des suffrages. Fidèle Lehoucq et Louis Leloir sont désignés comme adjoints et Victor Hassebroucq est nommé maire par le préfet. Ces républicains, fidèles au programme de Belleville ( énoncé par Gambetta en 1866), poursuivent trois objectifs : étendre les libertés, soustraire l'école à l'emprise de l'Église catholique et "relever" la France de la défaite de 1870-71.

    La laïcisation de la société

    Pour rendre la République irrévocable, la formation des jeunes générations est indispensable. Or, depuis la loi Falloux (15 mars 1850), l'école est placée sous l'autorité de l'Église, adversaire de la République. Jules Ferry fait voter toute une série de lois portant sur la question scolaire : création de lycées publics pour jeunes filles en 1880, instauration de l'école gratuite laïque et obligatoire en 1881-1882, laïcisation du personnel enseignant des écoles publiques. L'instituteur devient alors un des piliers de l’enracinement du régime. C'est à lui que revient le devoir d'inculquer aux jeunes élèves la morale républicaine et l'amour de la patrie.

    Le 29 mars 1880, le gouvernement décrète la dispersion  des Jésuites et oblige les congrégations religieuses à se dissoudre ou à demander une autorisation pour exister. Le 14 novembre 1880, à Tourcoing, un bruit circule concernant l’expulsion des quatre pères maristes qui refusent de se soumettre à la législation. Le lendemain, la population, alertée par le tocsin, se retrouve en masse devant la chapelle de la congrégation, rue du Tilleul. Rapidement, les partisans des deux bords en viennent aux mains. La gendarmerie de Roubaix et un bataillon de chasseurs à pied venus de Lille sont obligés d’intervenir. C’est encadrés par la troupe que les religieux quittent la chapelle.

    Le 14 février 1881, le projet de création d’un lycée laïc (lycée Gambetta) est adopté par le conseil municipal. En 1881, l’accord liant la ville au Collège du Sacré-Cœur de Tourcoing n’est pas renouvelé. À la rentrée de 1882, il rouvre ses portes sous le nom d’institution libre du Sacré-Cœur. C’est sans acharnement que la municipalité de Victor Hassebroucq procède à la laïcisation des écoles de la ville et, au nom du respect de la tradition, les messes et processions sont maintenues.

    D’autres mesures gouvernementales visent également à une sécularisation de la société : fin du repos dominical obligatoire (12 juillet 1880), rétablissement du divorce (loi Naquet 1884), laïcisation des hôpitaux et des tribunaux, liberté des obsèques (1887)…

    Voulant atteindre les "moines d'affaires", Waldeck-Rousseau, qui dirige un gouvernement de défense et d'action républicaine, fait voter le 1er juillet 1901, une loi instituant le droit d’association. Il est décidé dans l’article 13 de cette loi qu'aucune congrégation religieuse ne pourra se former sans une autorisation donnée par le préfet. A l’article 14, la loi interdit l'enseignement aux membres des congrégations religieuses non autorisées. Enfin, l’article 16 stipule que toute congrégation formée sans autorisation sera déclarée illicite et que les responsables seront punis d’une amende ou d’emprisonnement. Par la suite Émile Combes, successeur de Waldeck-Rousseau à la tête du gouvernement, choisit de mener une politique ouvertement anticléricale et demande la stricte application de ces textes.

    À Tourcoing, certaines congrégations comme celles des Sœurs de l’Ouvrier ou des Sœurs Noires, qui ne se sont pas pliées à la loi de 1880, se réfugient en Belgique. Le 23 juillet 1902, de nombreux habitants viennent soutenir les Filles de la Charité, qui faute d’autorisation, doivent fermer leur école maternelle, rue du Sergent Bobillot. Emile Barrois, adversaire de Gustave Dron, profite de l’occasion pour haranguer la foule depuis une fenêtre et faire crier « A bas les proscripteurs ! ». Le lendemain, les sœurs de la Sainte-Union, qui ont dû interrompre les activités des établissements primaires et maternels du Blanc-Seau, se rendent dans leurs locaux de la place Notre-Dame. Elles sont accueillies par des acclamations et des pancartes. La police tente d’intervenir, des coups sont échangés et quelques personnes arrêtées.

    Le dimanche 27, Émile Barrois, en compagnie du maire d’Halluin et des membres des comités des écoles libres, demandent à voir Gustave Dron. Celui-ci, refusant de se laisser intimider, ne reçoit pas la délégation. Les gendarmes dispersent les manifestants. Dès le lendemain, on peut voir, placardée sur les murs de la ville, une affiche attaquant vivement le maire : « Habitants de Tourcoing ! Au jour de son entrée en fonction, M. Dron, Maire de Tourcoing, a déclaré hautement que, sous son administration, les portes de l’Hôtel de ville seraient toujours ouvertes à tout le monde. Nous nous y sommes présentés hier matin. Nous voulions, au nom de l’immense majorité de nos concitoyens, déposer entre les mains du premier magistrat de la ville une protestation contre la fermeture des écoles des Sœurs et une requête pour leur réouverture. M. le Maire a refusé de nous recevoir. Nous vous faisons juge de ses actes ».

    Afin d’éviter de nouveaux troubles, Gustave Dron signe un arrêté interdisant la procession mariale du 15 août : « […] considérant que les manifestations organisées le mercredi 23 et le dimanche 27 juillet 1902, pour protester contre l’application de la loi sur les associations ont amené des troubles graves […]. Considérant que les processions qui se font habituellement à Tourcoing le 15 août pourraient provoquer une nouvelle agitation et entraîner des scènes de désordre […] ».

    La laïcisation des écoles se poursuit par la promulgation de la loi du 7 juillet 1904 qui interdit l'enseignement de tout ordre et de toute nature en France aux congrégations. Le 13 juillet 1904, la municipalité ordonne donc la fermeture de dix écoles. Afin d’exprimer leur mécontentement par un geste fort, les catholiques décident de ne pas pavoiser lors de la fête nationale. Malgré tout, les fermetures continuent. Les bâtiments ainsi libérés sont mis en vente. La municipalité choisit d’en acquérir certains. Le pensionnat de la rue des Ursulines est ainsi transformé en collège de jeunes filles, le pensionnat Saint-Michel est affecté à l’école Michelet, à l’institut Colbert  et à la Fédération des amicales laïques. Électoralement, ces événements n’ont pas de conséquences pour Gustave Dron dont la liste est entièrement réélue aux élections municipales de mai 1904.

    Cependant, la laïcisation de la société n’est pas encore achevée. Ainsi entre 1902 et 1904, huit propositions de loi visant à détacher les Églises de l’État sont déposées devant le Parlement. Enfin, le 4 mars 1905, Aristide Briand présente un rapport décisif rédigé par la commission relative à la séparation des Églises et de l’État. Gustave Dron, député, partisan de cette réforme est vivement pris à parti par les catholiques de Tourcoing. Par le biais de pétitions, Émile Barrois, président de l’Action Libérale Populaire, lui demandede se prononcer contre une mesure qui, d’après lui, amènera la discorde dans la ville. Il n’hésite pas par voie d’affiches à menacer et effrayer la population : «  […] C’est avant peu d’années, la persécution religieuse dans toute son horreur et, avec elle, la crise industrielle et commerciale, par la suite une misère plus grande pour l’ouvrier […] ».

    Le 3 juillet 1905, fidèle à ses convictions, Gustave Dron vote pour la loi de séparation des Églises et de l’État. Celle-ci est promulguée par le président Loubet le 9 décembre 1905. Elle signifie l’achèvement d’un affrontement farouche de presque 25 ans entre deux visions de la France : l’une cléricale et l’autre républicaine et laïque.

    Il reste cependant un dernier épisode douloureux lors de l’application de la loi de 1905, celui de la réalisation des inventaires. En effet, par le décret du 29 décembre 1905, et afin de préparer la dévolution des biens de l’Église aux associations cultuelles, le gouvernement demande aux fonctionnaires des Domaines d’effectuer un état des possessions de chaque paroisse. Dans la circulaire ministérielle, une phrase heurte sérieusement les catholiques : « […] les agents chargés de l'inventaire demanderont l'ouverture des tabernacles […] ». Ces derniers abritent les hosties consacrées et sont donc intouchables par des profanes.

    À Tourcoing, le clergé se montre particulièrement hostile à la réalisation de ces inventaires. Afin de calmer les esprits, Gustave Dron précise qu’il ne s’agit que d’une mesure conservatoire et lance un appel à la raison et au calme. Le parti Action Libérale Populaire ameute ses partisans et les incite à venir défendre au nom du pape les biens des églises. Son représentant Émile Barrois attaque nominativement Gustave Dron avec virulence. Galvanisés, les plus extrémistes transforment les églises en places fortes. Le 6 mars 1906, près de deux cents personnes s’enferment dans l’église Saint-Christophe. Sur le toit, côté grand’place, un drap portant l’inscription : « Aujourd’hui cambriolage officiel des églises de Tourcoing œuvre de M. Dron et de ses électeurs ». La foule commence à se rassembler, certains chantent des cantiques, d’autres l’Internationale. Le doyen prévient les agents des Domaines de son refus de coopérer. Même chose à Notre-Dame. Quelques forcenés sont arrêtés. Afin de maintenir l’ordre, des gendarmes et des militaires sont appelés en renfort. À Saint-Christophe, protégés par la troupe, les officiels décident de pénétrer dans l’édifice par une petite porte donnant sur la rue de Tournai, la seule à n’avoir pas été barricadée. Ils se heurtent aux chaises entassées en guise d’obstacles et à des portes fermées qu’il faut défoncer à la hache. Deux heures plus tard, l’inventaire est terminé. À l’extérieur, les partisans des deux bords en sont venus aux mains ; les cavaliers du 19ème Chasseur doivent rétablir l’ordre manu militari. L’accès à l’intérieur de l’église Notre-Dame-des-Anges est plus difficile encore car de véritables barricades ont été installées. Les gendarmes doivent pénétrer dans l’église par les fenêtres de la façade. Malgré cette résistance, les inventaires sont effectués.

    À Tourcoing, il reste encore deux questions à régler : celle du bail de location des presbytères et celle des processions. En mai 1907, Gustave Dron, estime que la résolution de ces deux questions a déjà trop tardé. Il profite de la demande d’autorisation de la procession du Saint-Sacrement pour interpeller le doyen de Saint-Christophe : « Réglons la question des presbytères ; j’examinerai ensuite celle des processions. ». La réponse négative de l’ecclésiastique, peu diplomatique, amène le maire à prendre des décisions radicales. Le 27 mai, Gustave Dron fait voter par le conseil municipal un arrêté interdisant les processions à Tourcoing. Malgré quelques manifestations parfois violentes, elles ne sont pas rétablies. Le 24 octobre, il réglemente la sonnerie des cloches et n’hésite pas à poursuivre devant le tribunal les prêtres contrevenants.

    La question du rôle des religieuses dans les établissements charitables vient également à se poser. Ces dernières sont indispensables au bon fonctionnement de ces structures. Il s’avère difficile de les remplacer complètement puisqu’elles assurent la majeure partie des soins des malades. La réalité de la pratique médicale amène peu à peu une professionnalisation des soignants. C’est par la formation d’un personnel civil que se fait peu à peu la laïcisation de l’hôpital.

    Suivant en cela des directives gouvernementales, Gustave Dron souhaite que les infirmiers reçoivent une formation également ouverte aux gardes malades indépendants. À l’issue de cet apprentissage, un diplôme est délivré par un jury d’examen composé de deux administrateurs, de plusieurs médecins de l’hôpital et de professeurs de la faculté de médecine de Lille. Le diplôme n’est pas obligatoire, cependant il confère à celui qui le possède de nets privilèges au niveau du salaire. Gustave Dron supervise la composition de l’équipe enseignante, il s’assure du concours des médecins de l’hôpital de Tourcoing : les docteurs Lagache, Huriez (père de Claude Huriez), Julien et Dumont, de Jules Lahousse, directeur de l’établissement, et d’un ancien sergent infirmier du Val-de-Grâce, Paul Debuchy.
    Le programme comprend 36 leçons :

    1. 14 d’anatomie, pathologie et pharmacologie par les docteurs Huriez et Lagache ;
    2. 6 sur l’art de faire les pansements par l’infirmier Debuchy ;
    3. 6 sur les femmes en couches et les enfants par le docteur Dumont ;
    4. 6 sur l’hygiène, les épidémies par le docteur Julien ;
    5. 3 sur l’administration hospitalière, la salubrité des locaux et les régimes alimentaires par Jules Lahousse.

    Les cours débutent le 6 novembre 1903 dans la salle de récréation du pavillon des enfants. Ils sont dispensés par Gustave Dron qui accueille lui-même les élèves et leur expose sa conception du métier d’infirmier. Pour lui, il est indispensable que le personnel soit formé d’une manière irréprochable conformément aux exigences de la science, de la médecine et de l’hygiène moderne afin qu’il puisse seconder efficacement le médecin. Il est persuadé qu’un personnel bien formé pourra à l’hôpital ou au domicile des malades contribuer à faire pénétrer dans les familles les notions d’hygiène élémentaires et aider le développement de la médecine moderne en luttant contre les préjugés. Le premier jury réuni en juillet 1905 accorde le diplôme à onze élèves.

    En 1873, Léon Harmel, industriel et camérier secret du pape Léon XIII, présente au congrès de l’Union des Œuvres un rapport sur l’organisation chrétienne de l’usine qui va influencer considérablement le patronat catholique. Parallèlement, certains patrons du Nord prennent l’habitude de se retrouver et mettent en avant le rôle qu’ils ont à jouer dans la réorganisation chrétienne de leurs industries. Il s’agit d’intervenir à l’intérieur de l’usine par un contrôle de moralité et un encadrement chrétien du travailleur mais également à l’extérieur par l’organisation des secours charitables et de fêtes chrétiennes. Au congrès catholique de mai 1879, les patrons du Nord publient une déclaration de principe sur la question sociale dans laquelle ils déplorent l’abandon des préceptes catholiques par les ouvriers, notamment en ce qui concerne le travail du dimanche. Ils y affirment que « l’ouvrier n’est pas une force qu’on utilise et qu’on rejette en ne tenant compte que des besoins immédiats de la production, qu’il est notre frère en Jésus-Christ, confié par Dieu aux patrons qui demeurent obligés de le placer dans des conditions propres à lui assurer le salut éternel ».

    Pour mener à bien leur mission, les industriels créent, en 1884, à la suite du vote de la loi Waldeck-Rousseau sur la liberté syndicale, l’association Catholique des Patrons du Nord. Cette même année, Léon Harmel accède à un poste de dirigeant dans l'œuvre des Cercles et se fait l'apôtre, auprès des chefs d'entreprise et des prêtres, de la nécessité d’une organisation chrétienne de l'usine, seule susceptible de résoudre la question sociale. Une de leurs premières actions est la création des confréries de Notre-Dame de l’usine. Elles ont pour but de regrouper dans chaque entreprise les ouvriers chrétiens, sous la direction de religieux et sous le contrôle du doyen de Saint-Christophe. Une faible cotisation alimente la caisse de secours de la confrérie. Seule une partie de la classe ouvrière, le prolétariat textile, est touchée par ce phénomène.

    Se sentant attaqué sur son terrain, le parti ouvrier charge les adhérents du Nord d’effectuer une vaste enquête sur Notre-Dame de l'usine. Le journal Socialiste et Jules Guesde présentent au public les conclusions de cette étude. Alertée, la presse radicale du Nord s'empare également de l'affaire. En juin 1892, Gustave Dron et son collègue le député radical de Roubaix Émile Moreau interpellent le gouvernement à ce propos. Ils se basent essentiellement sur un exposé fait par Camille Féron-Vrau, le 15 juillet 1891, devant l'association professionnelle des patrons du Nord et étayent leurs accusations de nombreuses plaintes émanant d'ouvriers. Leurs critiques portent essentiellement sur  les violations de la liberté de conscience.

    Dans les entreprises dont le patron est affilié à une confrérie comme celle de Notre-Dame de l'usine sont installés un oratoire, un confessionnal et, dans chaque atelier, un crucifix. La journée de travail commence et s'achève par des prières. Les jeunes de moins de vingt ans doivent assister au catéchisme. Les ouvriers et ouvrières sont tenus de fournir un billet de confession mensuel, de participer à des pèlerinages et, à tour de rôle, à des retraites de trois jours dans un couvent. Le travailleur qui refuse de se prêter à ces pratiques religieuses est mis à la porte à la première occasion.

    Gustave Dron choisit d’attaquer ces pratiques sur le plan légal et non sur celui de l’idéologie comme l’avait fait les partisans de Jules Guesde. Malgré cela, c’est un échec. Le Garde des sceaux veut apaiser les esprits et ne prend pas de mesure contre Notre-Dame de l’usine qui continue légalement à exister. Si Gustave Dron repousse « le gouvernement des curés », il n’en est pas pour autant anti-religieux ; pour lui, chacun doit être libre du choix et de la pratique de sa religion mais aussi d’avoir la possibilité de ne pas croire.

    Le siècle de l'hygiénisme

    La médecine connaît une révolution à partir du XIXème siècle en raison des progrès de la chimie, de l’apparition de la bactériologie et de la virologie. Les travaux des scientifiques permettent une avancée fondamentale dans la compréhension de la transmission des maladies, puis dans l’élaboration des soins. L’ancienne façon de considérer les maladies infectieuses en est totalement bouleversée. Louis Pasteur, consulté par la ville de Lille à propos d’une épidémie de diphtérie préconise la création d’un laboratoire d'hygiène qui doit être d’après lui : « […]  à la fois un dispensaire pour le traitement de la rage, un centre de recherche pour les maladies infectieuses et un centre d'enseignement pour les études qui relèvent de la microbie […] ». Un premier laboratoire est créé dans cette ville, en 1894, à la Halle aux Sucres. En 1895, Louis Pasteur choisit Albert Calmette comme premier directeur et accepte que l’établissement porte son nom.

    L’épidémiologie, cette science qui se rapporte à la répartition, à la fréquence et à la gravité de la maladie, permet l’élaboration des notions d’hygiène publique et donc l’adoption d’une politique de santé nationale.

    L’hygiène publique est définie comme un ensemble de disciplines comprenant la médecine, la pharmacie, la chimie, le génie civil et militaire, l’administration publique, les statistiques et l’économie politique. Les hygiénistes sont donc à la fois médecins, chimistes et administrateurs.

    Peu à peu, les concepts hygiénistes sont reconnus dans les milieux politiques car ils mettent en évidence des réalités sociales et permettent l’élaboration d’une politique basée sur des constatations. La santé devient une composante sociale donc politique. Les hygiénistes conçoivent la maladie, non comme une fatalité, mais comme un mal social qu’il est possible de combattre par des mesures de prévention. Dans les villes, il n'y a pas de relation entre les besoins sanitaires des habitants et les possibilités de soins offertes par les établissements hospitaliers. Les médecins militaires, légistes ou de l’hygiène publique, les inspecteurs régionaux ou départementaux de la santé deviennent les moteurs de la lutte contre les afflictions sociales. De cela découle la mise en place d’une politique de surveillance médicale généralisée de la population. Les médecins investissent le champ de l’action politique et veulent être reconnus comme les principaux acteurs du progrès. En 1890, presque la moitié des parlementaires sont issus du corps médical.

    Gustave Dron est une parfaite illustration de ce courant. Il appartient d’ailleurs au syndicat des médecins hygiénistes. Il choisit de s’investir dans la vie publique afin de pouvoir appliquer sa politique sociale. Il obtient en 1894 la création à Tourcoing d’un laboratoire municipal d’analyse installé dans les annexes du Lycée avec une entrée rue Victor Hugo. Il offre la possibilité de faire analyser lait, beurre mais aussi farine, pain, bière, eau… À la fin de son mandat municipal, les habitants de Tourcoing sont médicalement suivis tout au long de leur vie.

    Afin de poursuivre cette mission d’hygiène publique et en application de la loi du 15 avril 1902 relative à la protection de la santé, chaque département à l’obligation de créer un conseil d’hygiène départemental. Celui-ci est chargé de délibérer sur l’organisation du service de l’hygiène publique dans le département. Le conseil d’hygiène départemental se compose de dix membres à quinze membres. Il comprend obligatoirement deux conseillers généraux, élus par leurs collègues, trois médecins, dont un de l’armée de terre ou de mer, un pharmacien, un architecte et un vétérinaire. Le préfet préside le conseil, qui nomme dans son sein, pour deux ans, un vice-président et un secrétaire chargé de rédiger les délibérations du conseil. Gustave Dron, après avoir maintes fois réclamé la création de cette instance, y est nommé au titre de conseiller général du Nord, en compagnie notamment d’Albert Calmette (père du BCG) et Arthur Stoclet (l’un des instigateurs du Grand Boulevard).

    En 1888, Gustave Dron présente au Conseil municipal un vœu afin d’obtenir la création d’un établissement de bains. Il existe bien un établissement privé rue du Haze, mais il est vétuste et Gustave Dron pense qu’une structure municipale serait plus accessible aux plus modestes. L’eau courante à domicile est un luxe rare et les salles de bain réservées aux privilégiés. Pour Gustave Dron médecin, l’hygiène et la pratique de la natation sportive sont essentielles à la bonne santé de la population. Depuis la découverte de Pasteur prouvant l’origine microbienne des maladies contagieuses, on est de plus en plus conscient de la nécessité de pratiques hygiéniques. Pourtant, le conseil municipal ne considère pas la création d’une telle structure comme une priorité.

    Ce n’est que trois ans après sa demande que l’on accepte d’envisager la construction de ce bâtiment à l’occasion du déménagement du Bureau de bienfaisance. Le terrain acquit en 1895 pour la construction de ce dernier est très vaste et offre donc la possibilité d’installer un établissement de bains avec baignoires et piscine. Il permet également le percement d’une nouvelle rue, la rue du printemps. L’établissement de bains est construit derrière le Bureau de bienfaisance qui est lui à front de rue. C’est l’architecte Dehaene, aidé de l’ingénieur Philippe, qui élabore le premier projet en 1893. Il est approuvé par Gustave Dron en janvier 1900.

    En 1903, un conflit entre l’architecte et les entrepreneurs entraîne l’arrêt des travaux. Dehaene demande la construction d’un aqueduc, rue du printemps, car il y a un grave défaut d’écoulement des eaux sur le chantier. Il trouve aussi que les matériaux ne sont pas d’assez bonne qualité. Le 23 mars 1903, c’est à Maxime Sévin que Gustave Dron confie la poursuite des travaux toujours avec l’aide de l’ingénieur Philippe. Ils s’aperçoivent que le béton du bassin ainsi que celui de la ferme de la Bourgogne ne sont pas sec. Il faut donc retarder encore l’achèvement du bâtiment. Gustave Dron souhaite vivement pouvoir ouvrir l’établissement avant les élections de mai 1904. Mais cela n’est techniquement pas possible et l’établissement est finalement inauguré le 17 juillet 1904.

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