De 1538, date de parution du premier livre spécifiquement
consacré à la natation, à la fin du XIXème siècle, ont
été répertoriés dans le monde 489 ouvrages, ou parties
d’ouvrages sur ce sujet. Sur ce corpus, la production
française concerne 101 unités, soit plus de 20%. Cet
ensemble autorise la construction d’une typologie de
la production littéraire française en natation, en fonction
du profil socio–professionnel de l’auteur, de sa conception
de l’apprentissage et du statut de la pratique dans
le champs des activités physiques. Outre les écrivains
qui utilisent la natation à des fins anecdotiques ou
descriptives dès lors que le sujet aborde notamment
les bains, les auteurs se répartissent de la manière
suivante :
Les "ingénieurs" envisagent le progrès en natation
comme un rapprochement de la motricité du terrien. La
technologie et l’utilisation de l’artifice priment sur
la technique de nage. La supériorité de l’homme n’est
pas dans son adaptation physique au milieu, mais dans
sa créativité intellectuelle en inventant des appareils
sustentateurs et/ou propulseurs.
Les "gymnasiarques" conçoivent la natation comme
"un art gymnastique". L’apprentissage est d’abord celui
des positions, souvent à sec, le "nageur" étant debout
ou couché sur le ventre. La brasse est alors prioritaire
car, à un développement musculaire symétrique, elle
ajoute sa simplicité et. sa tradition française.
Les "médecins" définissent la natation comme
un instrument supplémentaire de l’hygiène, cumulant
à la fois les effets bénéfiques du bain et ceux de l’exercice.
Les "militaires" ont pour ambition de diffuser
dans l’armée la natation comme arme stratégique, mais
l’inscrivent aussi dans une double orientation d’hygiène
et de discipline collective. Les formes de pratiques
décrites sont donc proches des gymnastiques.
Les "professeurs de natation" sont moins présents
que les autres, et souhaitent plus modestement diffuser
la méthode qu’ils ont souvent construite empiriquement
durant des années d’enseignement dans les bains ou les
écoles de natation. Recherche d’auto–légitimation et
ambitions commerciales ne sont probablement pas absentes
de leurs essais. D’une manière générale, ces livres
présentent pour point commun un souci de progressivité
dans l’apprentissage, la réduction de la natation à
une technique unique, reconnue comme la plus simple
et qui permet de maintenir les voies respiratoires hors
de l’eau : la brasse.
Les "humanistes éducateurs" comptent dans leurs
rangs des ecclésiastiques, des intellectuels, des professions
libérales, ainsi que plusieurs ouvrages anonymes ou
pseudonymes. Leurs buts ne sont ni militaires, ni hygiéniques,
ni commerciaux, mais utilitaires et éducatifs. Si la
brasse demeure la nage de base, d’autres techniques
sont énoncées (jusqu’à plus de 30 : sur le dos, le ventre,
le côté, avec tel ou tel membre, verticalement, en tenant
des objets, etc., les listes sont longues des "techniques"
qui permettent de répondre à la variété des situations.
Les "sportsmen" apparaissent à l’extrême fin
du XIXème siècle, alors que s’organisent difficilement
les premières sociétés sportives de natation. Les dimensions
hygiéniques, utilitaires ou éducatives ne sont pas rejetées
mais demeurent soumises aux impératifs de l’efficacité
technique.
Ces "profils" d’ouvrages répondent à des formes de
pratiques différentes de la natation et en sont autant
d’illustrations. Leur variété perdurera au XXème siècle
avec, toutefois, une double évolution : quantitative,
d’abord, avec un brusque accroissement de la production
littéraire (F. GREENWOOD comptait plus de 10 000 livres
dans 19 langues en 1940) lorsque se développe massivement
le sport associatif, qualitative, ensuite, avec une
prédominance toujours plus nette des ouvrages de "natation
sportive" sur les autres types de livre.