étiquettes de savon Charles Lequenne
étiquette de savons Victor Vaissier
carte postale et enveloppe savon Benja
publicité savon Baby Benja
|
|
L’origine de cette savonnerie doit remonter à 1790
; nous n’avons malheureusement pas de renseignements
sur cette entreprise créée par Castel Pétillon. Son
successeur est Jean Philippe Facon qui, marié en premières
noces avec Christine Fremaux, se fera appeler Facon
Fremaux. Il a une fille de ce premier mariage : Amélie.
Jean Facon Fremaux se remarie en 1832 avec Sophie Debisschop
alors âgée de 26 ans. Amélie se marie, en 1853, avec
le frère de sa belle–mère, Auguste Debisschop. De leur
union naissent plusieurs enfants dont Louis en 1848
et Léon en 1865.
A la mort de Jean Facon Fremaux, en 1860, sa veuve
assume la direction de l’entreprise. Elle est ensuite
dirigée par Auguste Debisschop puis par ses fils Louis
et Léon, enfin par Léon seul à la mort de Louis en 1908
(Léon est le père de Monsieur l’Abbé Debisschop et d’Albert).
L’entreprise avait pour raison sociale Debisschop Facon
fils.
L’établissement était, à l’origine, situé 26 rue
du Haze. Vers 1879, le percement du tronçon prolongeant
la rue Nationale jusqu’à l’Hôtel
de Ville amène la destruction de la savonnerie.
Elle est reconstruite à proximité, à côté de la vieille
maison familiale datée de 1699 et se situe dès lors
au 3 de la rue Nationale. Une nouvelle habitation est
construite à la même époque entre la savonnerie et la
vieille maison que l’on décide de conserver (5, rue
Nationale). Monsieur l’Abbé Debisschop se souvient d’une
maison très originale séparée en deux parties par une
grande véranda.
Le rez–de–chaussée de la vieille maison était surélevé,
bâti sur votes de pierre. A l’exception de la pièce
donnant sur la rue, elle était sombre, inutilisable
parce que mal éclairée. La cour donnait accès aux bureaux
du ou des patrons et de l’employé, à l’écurie, à la
remise du camion et de la brouette, une vraie brouette
tourquennoise. L’atelier du tonnelier qui s’ouvrait
lui aussi sur cette cour intéressait particulièrement
les enfants de la maison, on y trouvait des outils et
des clous, on pouvait y voir réparer la futaille usagée,
fabriquer des cuvelles et même recercler les roues du
camion, les cercles devaient être réchauffés sur des
brasiers.
L’écurie a abrité un, puis deux chevaux. Ils allaient
livrer jusque Croix. L’écurie accueillait également
des animaux élevés pour les enfants, une chèvre puis
un mouton. Le cocher venait le dimanche pour nourrir
les chevaux.
Le bureau des deux patrons était meublé de deux bureaux
ministres se faisant face. Dans le bureau de l’employé,
parfois aidé d’un stagiaire, régnaient les plumes "Gauloises"
et "Sergent–Major" depuis l’abandon de la plume d’oie
vers 1875. L’encre noire était de la marque "Etat Civil",
l’encre rouge était utilisée pour les ratures. Le buvard
avait remplacé le sable du sablier qui n’était plus
qu’un bibelot souvenir.
On copiait les lettres importantes et les factures
dans un registre garni de feuilles de papier de soie.
La feuille à copier était écrite avec une encre particulière,
une page du registre était humidifiée et passée à la
presse, elle était ainsi imprimée. L’employé travaillait
sur des hauts bureaux équipés de chaises hautes.
Le téléphone est arrivé vers 1908/09. Le télégraphe
était couramment utilisé, les dépêches étaient délivrées
par un piéton ou un cycliste.
La savonnerie Debisschop produisait alors essentiellement
du savon mou : du savon industriel et du savon de ménage.
Aucun chimiste n’a été employé par l’entreprise, aucun
des patrons ne fit d’étude de chimie ; la routine, le
savoir–faire suffisaient.
Le savon noir mou destiné aux ménagères était fabriqué
à base d’huile de lin et de potasse, il était fabriqué
en quelques heures, les ménagères l’achetaient au poids
et l’emportaient dans du papier. La célèbre photographie
du dernier broutteux de Tourcoing représente en fait
Floris le livreur de la savonnerie qui fournissait ainsi
les épiciers de Tourcoing dans des cuvelles de 25 kg,
parfois 50. La soude pouvait donner du savon mou pour
l’industrie ou dur : du savon de Marseille.
Le savon industriel utilisait des corps gras d’origine
animale (graisse d’os ou de suif) il était alors jaunâtre,
ou d’origine végétale, de l’huile de lin, de coprah,
de palme, le savon était alors rouge, ces produits étaient
reçus en tonneaux de 250 et 500 kg.
Les industriels du textile l’utiliseront jusqu’à la
Seconde Guerre Mondiale au moins, jusqu’à l’arrivée
des produits dérivés de l’industrie pétrolière. Ces
produits étaient livrés en tonneaux.
La soude entrait également dans la composition du
savon dur. La production avait commencé en 1895 avec
l’arrivée de Jean–Baptiste Siffredy dit Batistin. On
l’avait fait venir de Marseille, il travailla toute
sa vie dans l’entreprise. La fabrication du savon dur
était plus complexe, il fallait 5 jours pour en fabriquer.
Sa fabrication exigeait de la chaux vive, elle venait
de Lezennes, livrée par gros chariots à 3 chevaux et
du sel de mer non raffiné, il était livré en présence
d’un douanier. Le sel de cuisine était alors imposé
et pour que le sel livré n’y soit pas employé on devait
le dénaturer sous surveillance. Il était rendu impropre
à la consommation par l’ajout de carbonate de soude,
un produit qui entrait de toute façon dans le processus
de fabrication. Monsieur l’Abbé Debisschop se souvient
avoir souvent vu Batistin somnoler près de sa chaudière
en ébullition.
Ce savon de Marseille était livré sous forme de pains
blancs, verts ou jaunâtres. Il quittait la fabrique
en pains de 25 kg. L’industrie textile pouvait utiliser
aussi du savon dur, il servait alors à laver les tissus
salis pendant leur fabrication.
L’usine avait une annexe au 45 rue du Haze. Les anciens
établissements de bains acquis vers 1905 servaient de
dépôts de matières premières et d’atelier secondaire,
on y fabriquait du savon à la potasse. Pour la manutention
cet atelier était équipé d’un wagonnet sur rail, il
devenait parfois un jeu pour les enfants.
Les locaux étant devenus décidément trop étroits,
la construction d’une nouvelle usine st décidée. Un
terrain est acheté rue Fin de la Guerre et les travaux
commencent en 1910. Une cave est creusée, les murs sortent
de terre lorsqu’arrive au courrier un refus de bâtir
catégorique. En fait le permis n’avait pas été déposé
et la commission chargée d’examiner la situation des
établissements classés, l’estimait trop proche de l’hôpital
et de la crèche.
Les maçonneries doivent être détruites et sur le terrain
nivelé s’étend le parc
Clémenceau qui succédait alors au vieux cimetière
désaffecté. Un nouveau terrain fut recherché et trouvé
au 80 rue Saint Blaise, sur le terrain d’un maraîcher,
inclus au milieu des maisons. La construction de la
nouvelle savonnerie fut rapide, elle put ouvrir dès
1911. Sa porte était proche de l’entrée de la rue des
Girondins, une voie privée, non pavée, interdite à la
circulation des voitures par une barrière fixe. Monsieur
l’Abbé Debisschop se souvient de tristes maisons, mal
tenues, occupées par une population peu recommandable.
Pour des problèmes de vol ou de fraude, il y avait
souvent des descentes de police qui devait venir en
nombre. Monsieur l’Abbé ajoute "Nous l’appelions le
boulevard des Apaches et, par prudence, nous n’y passions
pas".
Il est encore possible à Monsieur l’Abbé Debisschop
d’indiquer les noms et les fonctions des ouvriers de
la savonnerie sur une photographie antérieure à 1910
: en bas Charles le chauffeur du générateur de vapeur,
Camille, Edmond le tonnelier, Floris le coursier, Théophile
était cocher, les autres étaient des ouvriers polyvalents.
Debout on peut voir Batistin le marseillais. La photographie
a été prise par Henri Fourrure l’employé aux écritures
qui était passionné par la photographie.
A l’usine, à l’exception du comptable, tout le monde
pouvait travailler au chargement et au déchargement
ainsi qu’à la fabrication. Ces ouvriers, on les appelait
alors "hommes de peine", étaient presque tous belges.
Leur stabilité était remarquable, ils ont travaillé
toute leur vie dans l’entreprise.
Plus tard, dans la section savon de toilette, tous
les ouvriers pouvaient manipuler, façonner et emballer.
En fait le travail n’était pas régulier mais s’adaptait
aux jours de fabrication, d’expédition ou de réception.
C’est une nouvelle génération qui dirige l’entreprise
après la 1ère guerre mondiale. Le fils de Louis appelé
lui aussi Louis, succède à son père. Albert le fils
de Léon et frère de Monsieur l’Abbé Debisschop entre
dans les affaires dans les années 20. C’est à lui que
revient la charge de créer une toute nouvelle branche
d’activité : le savon de toilette : c’est ainsi que
naît dans une partie de l’usine la savonnerie "Benja"
en 1924. Le nom Benja rappelle le benjoin, suc résineux
d’un arbre utilisé en parfumerie. Albert dépensera une
énergie considérable pour développer cette partie de
la savonnerie. Elle utilisait le savon de Marseille
produit par la savonnerie, il était râpé, parfumé et
teinté, boudiné, mis en forme, il recevait une empreinte
avant d’être conditionné. La fabrication durait de 5
à 6 jours.
A côté des produits traditionnels de la savonnerie,
les savons mous, Benja commercialisait des produits
variés. En 1930, Albert achète les moules et les marques
de la société Leruste et Mullaert ex Lequenne–Dujardin.
On voit apparaître dans les inventaires des années 50
du savon en copeaux (Benjo), des savons (ménage, ménage
blanc, jumelé, parfumé à la chlorophylle, Marcado) et
des savonnettes, la première marque est Benja, mais
on trouvait également Fleurs de Bretagne, Lune, l’Idéal,
au trèfle, au lait de son. La savonnerie Benja restera
une petite unité de production : l’équivalent de 2 personnes
étaient employées à la fabrication du savon de toilette.
La savonnerie en comptait moins d’une dizaine en tout
après la 1ère Guerre Mondiale. On peut alors estimer
la production de savon mou à 5 ou 600 tonnes par an.
Après la Seconde Guerre Mondiale, la savonnerie industrielle
subit la concurrence des savons issus de l’industrie
pétrolière. Malgré les efforts et le succès d’Albert,
elle ne réussit pas à s’adapter, à se diversifier et
à changer d’échelle. Dans les années 1960/70 la savonnerie
emportera le marché du savon liquide utilisé par la
S.N.C.F..
Albert Debisschop, né en 1902, est mort en 1994.
La savonnerie Debisschop, comme toute cette branche
industrielle, a suivi l’essor de l’industrie lainière
et son déclin. Le savon industriel était condamné par
les produits de l’industrie pétrolière ; Monsieur l’Abbé
Debisschop se souvient que son père déclarait vers 1910
"Celui qui tirera du savon du pétrole fera fortune.". |